Intérêts et limites académiques ou militants de la notion de race

À propos d’Alain Policar, L’inquiétante familiarité de la race, 2020

Ary Gordien

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Ary Gordien, « Intérêts et limites académiques ou militants de la notion de race », Lectures anthropologiques [En ligne], 10 | 2023, mis en ligne le 22 février 2024, consulté le 30 avril 2024. URL : https://www.lecturesanthropologiques.fr/1051

Sur la base d’une synthèse de références clés traitant de la race, d’une part, et des débats épistémologiques et théoriques ainsi soulevés en lien avec cette question, cet article propose une lecture critique de l’ouvrage d’Alain Policar intitulé L’inquiétante familiarité de la race. Décolonialisme, intersectionnalité et universalisme. Bien que légitime, l’inquiétude qu’exprime le politiste quant à la popularisation d’une conception de plus en plus réifiante et essentialiste de la race ne parvient pas à rendre compte de manière tout à fait juste des enjeux académiques soulevés. L’aperçu précieux qu’il donne de différents débats et polémiques sur la race et le colonialisme tend à amalgamer la plupart des tentatives scientifiques d’étudier finement les processus de racialisation avec cette tendance qu’il identifie et critique à juste titre, de manière plutôt convaincante.

Based on a partial summary of some of the most impactful scholarship on race in sociology and anthropology, on the one hand, and the related epistemological and theoretical debates they imply, on the other, this article provides a critical review of Alain Policar’s book L’inquiétante familiarité de la race. Décolonialisme, intersectionnalité et universalisme. Though legitimate, Alain Policar’s concern over the popularization of increasingly reifying and essential conceptions of race fails to give a truly fair account of the academic issues at stake. His valuable overview of the various debates and controversies on race and colonialism tends to conflate most scholarly endeavors to meticulously examine processes of racialization with the trend he rightly and somewhat convincingly identifies and critiques.

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Compte rendu de : Alain Policar, 2020, L’inquiétante familiarité de la race. Décolonialisme, intersectionnalité et universalisme. Intérêts et limites académiques et militants de la notion de race. Lormont, Le Bord de l’Eau

Cet essai d’Alain Policar présente une critique du courant décolonial, de l’antiracisme politique et de l’intersectionnalité, mais aussi des études sur la race. Ces courants et ce domaine de recherche sont accusés de faire resurgir un essentialisme racial issu de la colonisation et forgé par le racisme scientifique. Cette critique se fonde sur l’analyse et les commentaires critiques de documents de seconde main : ouvrages académiques ou non et prises de position publiques d’activistes et d’universitaires. Ce matériau sert de base à une réflexion philosophique et éthique dont l’enjeu est la remise en cause des postulats ethnocentristes et eurocentrés des conceptions traditionnelles du républicanisme et de l’universalisme. L’objectif est de proposer un cadre théorique basé sur le cosmopolitisme respectueux de la diversité ethnoculturelle pour échapper à ce que l’auteur présente comme un retour de la race.

Cet essai paraît alors que la conflictualité des débats médiatico-politiques et universitaires sur ces questions ne cesse de croître. La légitimité des recherches portant sur le fait colonial, ainsi que les rapports sociaux de genre et de race, a également été remise en question, tout comme les libertés académiques. Quel éclairage apporte cette contribution d’Alain Policar ? Après l’avoir synthétisée, j’exposerai ce qui m’a semblé être les principaux apports ainsi que les manquements majeurs de cette critique salutaire, mais biaisée. Le point de vue que j’exprime est celui d’un anthropologue dont les objets de recherche concernent en partie les rapports sociaux de race. L’essentialisme et la réification de la race, ainsi que de la culture, sont une tendance ancienne, dont j’ai pu constater les manifestations contemporaines dans le cadre de mon activité professionnelle : sur différents terrains de recherche, mais aussi lors de débats avec des étudiants et des collègues, tout comme dans le cadre privé. Cependant, en ne situant sa critique de ce phénomène qu’à un niveau éthique et politique, Alain Policar mélange opinion personnelle ou jugements de valeur politiques, d’un côté, et recherche scientifique, de l’autre. Bien qu’irrésistiblement articulés, ces deux domaines ne se confondent pas tout à fait. Du fait de cette confusion, l’analyse du politiste amalgame à tort les recherches en sciences sociales s’intéressant aux mécanismes de racialisation à l’adversaire idéologique mal défini auquel il s’attaque : le décolonialisme intersectionnel antiraciste politique.

Dépoussiérer l’universalisme : dialogue critique avec les études de la race, l’antiracisme et les postcolonalismes

Le premier chapitre retrace l’histoire de la notion de race en remontant à l’anthropologie du XIXe siècle. Alain Policar rappelle comment Franz Boas (1858-1942), père fondateur de l’anthropologie culturelle, a remis en cause le racisme et l’eurocentrisme de ses contemporains. Le relativisme culturel boasien représente selon l’auteur un moyen légitime de combattre les théories systématisant l’inégalité raciale et culturelle. Alain Policar met cependant en garde contre l’essentialisme auquel conduit irrésistiblement le culturalisme excessif pour revenir à la race. Citant Colette Guillaumin (p. 15), il précise que sa visée est de discréditer toute définition biologique de la race, qu’il considère comme une « catégorie sociale d’exclusion et de meurtre ». Puisque aucune classification biologique de l’humanité n’est opératoire, il faut, nous dit l’auteur, s’opposer au décolonialisme qui « fait de la race […] une réalité structurant les oppositions entre “Blancs” et “racisés” ». En cela, la race cesse d’être une « catégorie superficielle » (p. 17). Pour Alain Policar, même la manière dont sociologues et anthropologues se réfèrent à la race comme à une construction sociale n’écarte pas le risque d’un retour à l’essentialisme racial. Il refuse de reconnaître une possible polysémie permettant de « distinguer la “race” du sociologue (ou du chercheur en général) de la “race” du raciste » (p. 22). La notion de « racialisation » est aussi condamnée comme une manière d’« essentialiser des groupes qui n’ont généralement d’autre existence que celle que lui prêtent les bâtisseurs de catégories » (ibid.). Si l’auteur reconnaît que ces catégories « peuvent produire une réalité sociale » (ibid.), le principal enjeu reste pour lui politique : éradiquer le racisme qui a remplacé les distinctions inégalitaires dans la société moderne. En référence à cet objectif politique, le décolonialisme est décrit comme allant à l’encontre du projet antiraciste puisqu’il se situe « dans une logique d’exaltation des différences » (p. 23). Il en serait de même pour des associations militantes s’autodéfinissant comme noires ou « antiracistes politiques ». À partir d’une synthèse des principales polémiques relatives à la condamnation de la pratique du grimage (blackface) et de l’appropriation culturelle, portée par ces mouvements, l’auteur leur reproche d’adopter une position dogmatique et victimaire. La conception de la culture comme propriété qui, selon lui, sous-tend ces dénonciations est assimilée à un « repli sur soi » (p. 25), niant toute possibilité de penser l’universalisme, tout en étendant le « domaine de la race » et en « disqualifi[ant] tout non racisé en matière d’antiracisme » (p. 27).

Le deuxième chapitre définit le racisme et l’antiracisme afin d’invalider l’antiracisme dit politique. Sur la base de l’analyse de prises de position du Parti des Indigènes de la République (PIR), des écrits d’Houria Bouteldja, mais aussi de rares chercheurs (Hourya Bentouhami, Cédric Molino et Maboula Soumahoro), Alain Policar poursuit sa critique de l’essentialisme ethnoracial, du « repli communautaire » (p. 31) et de l’opposition à l’universalisme. Il condamne également une forme d’antisémitisme consistant à minimiser l’oppression raciale des juifs. La critique du sionisme vient selon lui artificiellement légitimer de telles positions, qui puisent dans une phraséologie antisémite ancienne. Cette position repose selon le politiste sur l’amalgame entre le racisme génocidaire et le racisme colonial : le génocide des Juifs est réduit à une des modalités du racisme colonial sans que ses spécificités soient pensées. À la suite de Jeanne Hersch, Alain Policar préconise de distinguer ces deux formes de racisme. L’antisémitisme ne se fonde pas vraiment sur des critères phénotypiques, il repose plus sur le fantasme d’une domination juive que sur l’idée d’une infériorité et enfin, le génocide vise l’extermination, là où la colonisation maintient le capital humain colonisé en vie. De la question juive, l’on passe à celle de la blanchité, perçue comme une autre manifestation de la résurgence de la race. Elle « signifi[e] l’apparition d’un nouveau groupe, les Blancs, qui auparavant n’était pas reconnu, et ne se reconnaissait pas, comme tel » (p. 37). C’est cette tendance que manifesterait la critique de l’imposition de mœurs sexuelles et genrées « blanches » portée par le Parti des Indigènes de la République (PIR). La blanchité instillerait donc une conscience blanche qui permet à l’accusation de racisme anti-Blancs (que l’auteur s’attache à déconstruire) d’émerger et de se diffuser. Alain Policar affirme, statistiques à l’appui, que le « racisme anti-Blancs, n’a donc guère de sens dans une société où les Blancs ne sont pas les victimes d’un racisme institutionnalisé et d’une discrimination sociale à dimension historique » (p. 41). Cette rhétorique xénophobe et raciste d’extrême droite (reprise par certaines personnalités issues de la gauche) servirait surtout à inverser les rôles en faisant des principales victimes du racisme les coupables. En réhabilitant la race, l’antiracisme politique rejoindrait donc l’extrême droite.

Le troisième chapitre commence par une approche générique des études postcoloniales, présentées comme le seul courant de pensée à poser de manière pertinente les dominations issues de la colonisation qui se reproduisent jusque dans la période contemporaine. Il est surtout question de la réception française tardive de ce mouvement et des vives critiques politiques qui l’ont accompagnée (Amselle 2008 ; Bayart 2010). Alain Policar nuance ces critiques (importation d’un modèle de multiculturalisme étasunien, manque d’historicité et postmodernisme radical), tout en reprochant au postcolonialisme de ne pas avoir suffisamment remis en cause une « essentialisation des entités » (p. 55). L’intérêt majeur de ce dernier courant tient selon lui au fait qu’il aurait su « interrog[er], au regard de l’exploitation coloniale, les promesses des Lumières sans systématiquement en remettre en question les principes fondateurs » (p. 59). L’auteur déplore néanmoins certaines ambiguïtés : la valorisation de l’hybridité côtoierait des critiques manichéennes d’un Occident réifié opposé schématiquement à des entités culturelles ou ethnoraciales subalternes et minoritaires. Chez Gayatri Spivak, cela s’accompagnerait d’un postmodernisme excessif réduisant les méthodes des sciences sociales à un « outil de domination » eurocentré (p. 63), incapable, en cela, de rendre compte d’une quelconque vérité. C’est ainsi que notre auteur en vient à la cible de sa critique, le décolonialisme, qui cumule selon lui tous ces défauts.

En partant des textes fondateurs du mouvement décolonial (notamment ceux de Walter Mignolo et Ramón Grosfoguel), le quatrième chapitre montre comment, à partir d’une critique légitime de l’eurocentrisme, ces auteurs appellent à en découdre avec la domination épistémique de l’Occident. Le relativisme culturel et l’essentialisme ethnoracial exacerbé sur lesquels reposerait ce projet ne permettent de concevoir aucun savoir universel ni une quelconque solidarité dans les luttes sociales et politiques. Le marxisme étant, par exemple, délégitimé comme tradition de pensée occidentale. L’auteur revient à plusieurs reprises sur les prises de position et les écrits radicaux de Ramón Grosfoguel, dont il rappelle l’influence idéologique sur le PIR, et sur la distinction entre colonialisme (renvoyant à l’institution coloniale) et colonialité (vue comme une combinaison de rapports de domination ayant survécu à la décolonisation). La colonialité, définie comme constitutive de la modernité (dont l’arrivée des Européens aux Amériques marque le commencement) ne pourrait être combattue que par une désobéissance épistémique. Pour Alain Policar, cette radicalité systématise l’essentialisation de blocs civilisationnels antagonistes dans une logique binaire. Cet essentialisme serait le résultat combiné de l’assignation d’identités fixes aux minorités ethnoraciales par les États modernes et de la célébration du particularisme des penseurs décoloniaux. La reconnaissance de « l’hétérogénéité intragroupe », dont selon l’auteur, « seules les féministes matérialistes [se] préoccup[ent] réellement » (p. 80), permet d’y remédier. Par contraste, les statistiques ethniques, l’appel des Indigènes de la République et la pensée de Norman Ajari iraient ainsi dans le sens d’une « fragmentation du corps social » (p. 81) et de la résurgence de la raciologie. Il en serait de même pour la « mode » de l’intersectionnalité qui, combinant féminisme noir et poststructuralisme, accorderait « au prisme de race un privilège exorbitant » (p. 103), tout en promouvant des « catégories aux contours incertains, telles que celles de racisé, racialisé ou encore blanchité » (p. 104-105). Cela serait d’autant plus vrai lorsque l’intersectionnalité est mobilisée par des autrices décoloniales ou récupérée par le capitalisme libéral pour segmenter le corps social à des fins de marketing politique et économique. Alain Policar préfère la notion de consubstantialité mobilisée par des chercheuses féministes matérialistes. En faisant fi des différences de contexte historique et national (notamment en matière juridique), l’intersectionnalité réifierait le genre comme catégorie fixe déjà constituée plutôt que de remonter aux origines du sexage pour en reconnaître le caractère éminemment dynamique.

Le chapitre final défend un républicanisme universaliste et cosmopolitique comme alternative à l’essentialisme racial et au « national-républicanisme ». C’est ainsi qu’est désignée la « version dévoyée qui semble être la pensée républicaine officielle en France » (p. 108), dont la condamnation du voile islamique serait la principale manifestation. L’assimilation du voile à une atteinte aux droits de la femme et aux principes républicains de la laïcité est analysée comme l’expression d’un nationalisme ethnocentré, voire xénophobe et raciste, visant à défendre une entité culturelle française menacée par l’islam. Cette ethnicisation du républicanisme et de la laïcité exclut certaines populations du « nous » national tout en étant aveugle aux discriminations raciales. Le républicanisme critique défendu se fonde sur la notion de liberté positive qui ne se contente pas d’empêcher l’ingérence dans la vie d’autrui, mais qui « autorise la réalisation effective de nos aspirations » (p. 116). Il s’agit de repérer les limites des républiques réelles en remédiant à la domination des moins bien lotis, les « classes de vulnérabilité » (p. 119). La devise républicaine est donc évaluée à nouveaux frais. L’auteur défend une conception civique et laïque de la nation comme « communauté des citoyens » construite sur une base non religieuse. Il précise qu’il ne s’agit pas pour autant d’exclure la religion de l’espace public, mais de garantir à tous les citoyens la possibilité d’exercer leur religion. Quant aux allégeances ethnoraciales minoritaires, elles sont vues avant tout comme le résultat d’assignations identitaires par le haut, tandis que la population majoritaire maintient son hégémonie culturelle. C’est ce à quoi le politiste suggère de remédier en « diversifi[ant] l’imaginaire commun plutôt que de rétablir une égalité entre les groupes culturels, objectif dont les effets indésirables possibles sont l’institutionnalisation des différences » (p. 121). Contre les réflexes ethnocentristes, Alain Policar prône la valorisation de la diversité culturelle qu’il appelle, à la suite d’Alain Renaut, à « concilier [à] l’attachement aux principes du libéralisme politique » (p. 123). Convoquant Édouard Glissant, il fait l’éloge non pas de la créolité, mais de la créolisation comme mise en relation des cultures interdisant toute fixation nationaliste ou culturaliste. L’objectif est de permettre l’égale participation des membres de la communauté et d’« intégrer la reconnaissance à la redistribution » (p. 126). L’universalisme de surplomb est ainsi rejeté au profit d’un universalisme dit réitératif, consistant en une « conciliation du particulier et de l’universel » (p. 127).

Critique empirique d’un essai utile mais orienté : l’articulation entre question sociale et question raciale

Pour Alain Policar, la recherche sur la race est à ranger dans la même catégorie que les courants militants et de pensée auxquels il reproche de s’inscrire « dans une logique d’exaltation des différences » (p. 23), comme nous l’avons vu. Il omet de rappeler qu’à l’origine du « tournant racial » qui s’est opéré en France dans les années 2000, se trouve une question scientifique aux effets sociaux et politiques considérables. Les discriminations subies par les Français identifiés comme non blancs avaient jusqu’alors presque entièrement échappé aux principaux radars de l’administration et de la recherche françaises à cause d’un aveuglement idéologique. La focalisation du débat national sur l’immigration et l’assimilation/intégration des étrangers avait en effet fait perdre de vue le sort de ces citoyens français issus, de manière plus ou moins lointaine, de l’immigration postcoloniale. Ces derniers pouvaient être discriminés non pas du fait d’une différence culturelle ou de citoyenneté, mais à cause de préjugés liés à des facteurs ethnoraciaux, à savoir leur phénotype, leur origine et leur religion réels ou fantasmés (Fassin 2002). L’objectif en pointant cela n’est pas de classer l’humanité en races, mais d’étudier les mécanismes sociologiques par le biais desquels les divisions ethnoraciales se reproduisent et se reconfigurent. Près de vingt ans après l’émergence de ces débats politiques et académiques de plus en plus médiatisés, Alain Policar laisse entendre qu’aborder la race détourne « des véritables enjeux » (p. 6) que représente la classe. Or, dans le cas de la discrimination, il a justement été démontré que la seule prise en compte de la classe sociale et de la nationalité ne permettait pas d’expliquer les mécanismes d’exclusion à l’œuvre dans la société française. Cela rappelle ce que décrit Michel Leiris (1955) aux Antilles dans les années 1950. Un siècle après l’abolition de l’esclavage, la couleur de la peau (utilisée pour hiérarchiser les populations d’ascendances africaine, européenne et métisse durant l’esclavage) renseignait de manière assez précise sur le statut des ascendants des individus. De manière analogue, après l’immigration de travail liée aux décolonisations, qui se poursuit ultérieurement selon d’autres modalités, des marqueurs ethnoraciaux peuvent révéler l’origine sociale de certains Français, ainsi que les régions d’où proviennent leurs ascendants. Cette corrélation imparfaite peut être inférée avec une marge d’erreur plus ou moins importante du fait de la reproduction sociale et en dépit de la mobilité sociale ascendante. Elle sert de base au racisme et aux discriminations. Race (sous la forme du préjugé, des discriminations et d’éventuelles agressions) et classe (reproduction sociale) se recoupent sans se superposer parfaitement. Bien que ces phénomènes enchevêtrés soient le produit de l’histoire du capitalisme, cette complexité nous interdit d’opposer question raciale et question sociale ou de réduire la première à une simple modalité de la seconde. Il est méthodologiquement utile de se focaliser sur la singularité de la race, comprise comme construction sociale, ou, si l’on préfère, des mécanismes de racialisation. Mais, dans ce livre, Alain Policar ne reconnaît aucune valeur heuristique à ces notions. N’y voyant que la résurgence du racisme, il ne s’intéresse donc pas à leur définition et à leurs usages scientifiques.

La critique de la notion de race qui structure l’essai se fonde sur sa définition biologique. En dépit de la résurgence récente et préoccupante de la croyance en un fondement biologique à la race chez les généticiens, tout comme chez certains spécialistes en sciences sociales (Bonniol et al. 2021), les débats universitaires français reposent sur un consensus constructiviste malgré de nombreux désaccords. Actuellement, les plus farouches défenseurs de l’utilisation de la notion de race soulignent qu’ils se réfèrent à une construction sociale dans une perspective critique (Mazouz 2020). Depuis la Seconde Guerre mondiale, anthropologues et sociologues cherchent avant tout à comprendre la persistance du racisme en dépit de l’inexistence des races humaines au sens où le discours raciste, savant et populaire, l’entend (Wade 1997). Comme pour tout champ de recherche en sciences sociales, la difficulté tient à la possibilité de désigner assez explicitement l’objet d’étude tout en se distanciant du discours des acteurs afin de ne pas simplement le répéter. À ce titre, l’utilisation comme catégorie d’analyse du mot race (avec ou sans guillemets) et de ses dérivés fait débat chez les spécialistes, anglophones comme francophones, de la question (Cunin 2004 : 16-17 et Cervulle 2013 : 43). En citant Magali Bessone et Daniel Sabbagh, Alain Policar omet de préciser que ces auteurs soulignent aussi bien les risques de réification qu’il y a à nommer la race que le danger qu’il y a à refuser d’en mesurer explicitement les effets. C’est précisément pour distinguer la race du raciste de celle du chercheur qu’astérisque, adjectifs et néologismes sont utilisés, réduisant la confusion causée par l’homonymie (Bessone et Sabbagh 2015 : 11-12). Dès les années 1950, sont par exemple distinguées « race biologique » et « race sociale », cette dernière étant définie comme « la façon dont les membres d’une société se classent réciproquement d’après leurs caractéristiques physiques » (Wagley 1952 : 12, cité par Giraud 1979 : 17). Il est dès lors admis que si « l’on aborde les relations raciales du point de vue sociologique, il faut considérer la race non comme une catégorie biologique, mais comme un signe par lequel on identifie une catégorie sociale » (Banton 1971 : 15). Cette idée est proche de celle développée par Colette Guillaumin (2002 : 12-17) dans son analyse du racisme, que cite Alain Policar. Le politiste rejoint donc au moins en partie les spécialistes de la race lorsqu’il écrit qu’il est nécessaire de « correctement appréhender les mécanismes de formation raciale et […] d’identifier les groupes qui ont pu souffrir en raison d’hypothèses relatives à la hiérarchie de la “couleur” » (p. 21). On comprend donc mal pourquoi et sur quelle base il dénie toute valeur analytique et heuristique aux notions qui servent précisément ces objectifs.

Il est plus que surprenant qu’Alain Policar accuse les défenseurs de la notion de racialisation d’essentialiser des groupes « à leur corps défendant » (p. 22). La construction et l’étymologie du mot reflètent en effet assez bien son sens. On se réfère ici bien à un processus, celui de la production et de la reproduction de barrières raciales opérant dans différents contextes historiques ou socioculturels contemporains afin de les dénaturaliser (Appelbaum et al. 2003). Pourquoi d’ailleurs « racialisation » serait-il plus suspect que l’expression « mécanismes de formation raciale » qu’utilise l’auteur (p. 21) ? Dans les deux cas, la racine étymologique demeure, précisant ainsi l’objet d’étude et la nature des rapports d’altérisation et de domination dont il est question. Alain Policar critique l’usage du terme « racisé » en semblant ignorer que c’est un dérivé de « racisation », notion proche, quoique distincte, de celle de « racialisation », forgée par Colette Guillaumin (2002 [1972] : 12-17), qu’il rejoint pourtant sur plusieurs points. Ces biais et ces contresens expliquent la mauvaise appréciation de la notion de blanchité qui, contrairement à ce qui est écrit, ne vise pas à désigner un groupe phénotypiquement blanc. Elle permet au contraire de révéler le caractère mouvant, historiquement, culturellement et socialement construit des critères à partir desquels des individus et des populations sont identifiés, voire catégorisés, comme tels. Il s’agit aussi de dévoiler la fausse neutralité ethnoraciale des populations majoritaires ou dominantes vis-à-vis desquelles des minorités ethnoraciales fort disparates sont définies comme non blanches (noires, asiatiques, arabes, indigènes, mais aussi juives, irlandaises, italiennes, etc.). Qu’un néologisme (voire un barbarisme) ait été préféré à « blancheur » pour traduire whiteness exprime précisément la volonté non seulement de souligner la dimension construite de la blanchité et de marquer la distance avec le langage commun, mais aussi de se prémunir de toute tentative ou tentation de réifier un groupe blanc (Cervulle 2013 : 49). En ignorant toutes ces réflexions épistémologiques, théoriques et méthodologiques, l’essai délégitime un pan entier de la recherche dont pourrait pourtant se nourrir le projet politique antiraciste défendu.

Une critique de l’essentialisme racial en partie excessive et parfois infondée

À plusieurs reprises, les analyses de différents universitaires sont beaucoup trop rapidement assimilées à l’essentialisme ethnoracial dont la critique constitue le fil rouge de l’essai. Par exemple, l’essai autobiographique de Maboula Soumahoro (2020) est réduit à une « préférence pour le repli communautaire » (p. 31). L’ouvrage consiste pourtant en une analyse réflexive du parcours de la chercheuse, née en région parisienne de parents immigrés ivoiriens et musulmans très modestes, dont elle ne parle pas la langue. Il n’est question d’aucune communauté fermée puisque, convoquant Édouard Glissant, Maboula Soumahouro s’inscrit dans une diaspora noire qui n’a pas de racine unique et dont le caractère dispersé est, au contraire, souligné. Alain Policar aurait pu interroger de manière plus convaincante la façon dont la chercheuse articule cette conception et son soutien à l’« antiracisme politique » (Soumahoro 2020 : 144). Mais la grille de lecture du politiste l’empêche de voir ces éléments (ainsi que d’éventuels points de convergence) pour se concentrer sur la condamnation de l’essentialisme ethnoracial et des critiques excessives de l’universalisme. Dans le même esprit, Alain Policar démontre de manière assez convaincante les apories auxquelles conduit la radicalité du projet décolonial. Cependant, il semble parfois voir la race là où elle n’est pas et commettre un contresens lorsqu’il cite cette phrase de Walter Mignolo : « la pensée décoloniale s’apparente davantage à la peau et aux emplacements géo-historiques des migrants du tiers-monde, qu’à la peau des “Européens de souche” » (Mignolo 2013 : 188-189) [p. 69]. Lorsqu’on revient au texte cité, on s’aperçoit que le philosophe précise immédiatement qu’il parle « des Européens de souche du premier monde [je souligne] » (ibid. : 188) pour ajouter ensuite : « Rien n’empêche un corps blanc en Europe occidentale [je souligne] de sentir, rationnellement et intellectuellement, non empiriquement, comment fonctionne la colonialité dans des corps non-européens. Un corps européen blanc qui pense décolonialement est un corps qui donne : qui donne de manière similaire au corps de couleur [je souligne] formé par des histoires coloniales si celui-ci veut habiter les théories postmodernes et poststructuralistes » (ibid. : 189). Walter Mignolo se réfère à la socialisation liée à l’origine géographique et à l’ancrage culturel. L’idée principale est que, quelles que soient leurs origines ou leur couleur, les personnes issues d’une société produite par la colonisation sont, par expérience, mieux disposées à comprendre, ou plutôt à sentir1, ladite société. Walter Mignolo parle d’« Européens de souche » et de « corps blanc », non pas principalement en opposition à des « corps de couleur », mais plutôt pour distinguer Européens « autochtones » d’un côté et descendants de colons et d’immigrés européens d’Amérique du Sud (qu’il intègre dans le tiers-monde) de l’autre. Étant lui-même Argentin et fils d’immigrés italiens (Maldonado-Torres 2007 : 189), on peut sans trop de risque imaginer qu’il se réfère ainsi à sa propre expérience et à la compréhension théorique du fait colonial qu’il croit en tirer. Reprenant un débat récurrent chez les socio-anthropologues, Walter Mignolo souligne et naturalise en partie les avantages méthodologiques et épistémologiques liés à la position d’insider (Zegnani 2015), sans rien dire des difficultés qui les accompagnent et du caractère éminemment relatif de ce statut. Néanmoins, il concède que les Européens ont la capacité de saisir les principaux enjeux théoriques liés à la colonialité… à condition qu’ils adoptent les mêmes approches et méthodes. En fait, il leur enjoint même de le faire dans un élan de solidarité. Il est donc excessif d’interpréter ce passage comme la volonté de souligner la « [p]rééminence du corps, de l’apparence, sur tout ce qui pourrait transcender nos appartenances » (p. 69). En l’occurrence, ce que décrit Mignolo est bien une manière de transcender les différences entre « Européens de souche », descendants d’Européens et autres populations « de couleur ». Ce qui pose au fond le plus problème ici, c’est le dogmatisme méthodologique et théorique du philosophe argentin qui considère « les théories postmodernes et poststructuralistes » et le courant décolonial comme seules approches valides et valables.

Parmi d’autres critiques infondées, l’intersectionnalité est réduite à un cheval de Troie imposant la résurgence délétère de la race. L’impasse est ainsi faite sur les débats théoriques et méthodologiques précieux autour de cette notion (Jaunait et Chauvin 2013 ; Lépinard et Mazouz 2021). De même, l’opposition binaire entre racisme génocidaire et racisme colonial omet un examen de ce qui les rassemble (Balibar et Wallerstein 2018 [1988] : 176). Cependant, malgré ces limites de taille, sur certains points, la critique de l’essentialisme ethnoracial proposée est utile et bienvenue. Reconnaître que la notion de race et ses dérivés peuvent avoir une valeur analytique et critique n’implique pas de valider tout discours politique ou académique qui s’y réfère. À l’instar de la systématisation de l’opposition entre bourgeois et classe populaire à laquelle a pu conduire la diffusion de critiques marxistes dans les années 19702, l’usage critique et contemporain de la notion de race prend parfois la forme d’une opposition simplifiée entre « Blancs » et « racisés » qu’il faut chercher à comprendre mais dont on peut légitimement s’inquiéter. Néanmoins cette binarité n’équivaut pas au racisme scientifique biologique. Elle repose plutôt sur le postulat que la colonisation a instauré un racisme qui détermine entièrement la trajectoire des descendants de populations colonisées. Autrement dit, c’est le mécanisme de racisation, et non pas la race, qui tend à être réifié. Ne désigner comme racisées que des personnes communément perçues comme noires, arabes, asiatiques ou issues de différents métissages reproduit, sans l’expliquer et sans s’en distancier, la logique racisante qui assigne ces identités minoritaires. Plutôt que de reprendre ces mêmes critères discriminants pour définir qui est racisé et qui ne l’est pas, un usage véritablement critique de la race doit chercher à historiciser et à sociologiser ces mécanismes contextuels. Dans ce sens, « racisé » ne peut donc pas être considéré comme une identité, mais plutôt comme une position dans le cadre de rapports sociaux donnés. De même, on ne peut pas parler de blanchité sur la seule base de l’identification externe et superficielle de personnes ou de populations comme blanches en se fondant sur des critères phénotypiques. S’il est indispensable de démontrer en quoi l’identification comme blanc joue un rôle social décisif, il faut pour cela tenir compte de la grille d’identification raciale en vigueur dans le contexte socioculturel concerné, mais aussi de la situation propre aux interactions examinées. Lorsque l’on part de situations où la distribution inégale du pouvoir et des ressources a été institutionnalisée dans des contextes coloniaux, il s’agit de retracer la chaîne causale sociologique complexe liant passé et présent. En somme, exposer la fabrique de la race consiste à décortiquer les aspects à la fois idéels et matériels de ces rapports sociaux, ce que chercheurs et militants ne font sans doute pas toujours de manière fine, convaincante et utile.

Conclusion

Cet essai représente une bonne entrée en matière pour les néophytes. La bibliographie est détaillée et fournie. Alain Policar évite de tomber dans les oppositions idéologiques les plus stériles et caricaturales en montrant l’intérêt de penser le racisme et d’y apporter des solutions politiques qui évitent aussi bien l’invocation d’un universalisme de surplomb que l’essentialisme ethnoracial, fût-il stratégique. Néanmoins, il procède à des oppositions binaires entre essentialisme ethnoracial, communautariste dangereux et universalismes (marxiste ou républicain) salutaires. La rigueur intellectuelle de son analyse et de son appréciation des débats politiques, militants et universitaires en pâtit terriblement, notamment pour ce qui concerne la compréhension des rapports sociaux de race. La focalisation sur une définition biologique de la race et la confusion entre race et culture faussent son diagnostic. Il propose donc des solutions en partie inadaptées. La communauté de sort des différentes populations racisées n’implique en rien qu’elles constituent des communautés clairement circonscrites, partageant une même culture et des intérêts idéels et matériels, ni d’ailleurs qu’elles aspirent à le faire. Inversement, comme les exemples antillais le montrent (Leiris 1955 ; Benoît 2000), le partage des mêmes pratiques et représentations dans une société très créolisée ne va pas de pair, loin de là, avec l’égalité et la paix sociale et ethnoraciale. L’invocation de la créolisation ne semble donc pas être d’un grand secours pour combattre le racisme, même si la redéfinition des références culturelles partagées et la remise en cause de l’hégémonie de celles dont se réclame la population majoritaire représentent une piste pour résoudre un aspect du problème soulevé. Pour conclure, il me faut souligner que, comme l’indiquent ses prises de position plus récentes et son ouvrage paru un an plus tard (Policar 2021), Alain Policar semble désormais conscient de certaines des limites de son essai. Il s’agira de poursuivre le débat politique et académique sur de nouvelles bases, à l’aune de ce réexamen de sa critique.

1 La référence aux sens, tout comme au corps, vise à remettre en cause la distinction cartésienne entre le corps et l’esprit et, par ce biais, tout

2 Cette opposition structurait les divisions au sujet de l’homosexualité dans les milieux d’extrême gauche des années 1970. Dans une logique analogue

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1 La référence aux sens, tout comme au corps, vise à remettre en cause la distinction cartésienne entre le corps et l’esprit et, par ce biais, tout positivisme eurocentré.

2 Cette opposition structurait les divisions au sujet de l’homosexualité dans les milieux d’extrême gauche des années 1970. Dans une logique analogue à la rhétorique de certains mouvements anticolonialistes et antiracistes radicaux, les mouvements communistes hégémoniques la condamnaient comme déviance non pas blanche mais bourgeoise. En réaction le Front homosexuel d’action révolutionnaire définissait, par contraste, les rapports sexuels ou conjugaux homosexuels et les attitudes de genre jugés anormaux comme étant par essence révolutionnaires car ils remettraient en cause les mœurs bourgeoises et le capitalisme (Roussopoulos 2008).

Ary Gordien

Ary Gordien est chargé de recherche au CNRS et membre de l’URMIS (UMR 8245), à l’université Paris-Cité. Au croisement entre l’anthropologie des processus d’identification collectifs et les études de genre et des sexualités, ses recherches portent sur l’antiracisme et les rapports sociaux de races aux Antilles et en France hexagonale ainsi que sur la politisation de la mémoire de l’esclavage dans la Caraïbe.